Si c’est le hasard qui fait les choses, il ne pouvait pas faire mieux ! Samedi 24 octobre, le Festival Millenium programmait au Kinograph « Système K », un documentaire incroyable sur les artistes de Kinshasa dont l’un des acteurs principaux n’est autre que… Freddy Tsimba ! Et voilà que, à peine quelques jours après, je me retrouve avec l’artiste à l’inauguration de son exposition « La terre, plus belle que le paradis » au Musée de l’Afrique à Bruxelles.
Si le film nous emmenait sur la trace de quelques artistes dans le chaos institutionnalisé aussi cacophonique que dynamique et créatif de Kinshasa (l’une des villes les plus intéressantes que j’ai parcourues durant ces 20 dernières années), l’exposition impressionne par le côté professionnel, structuré et accompli de Freddy Tsimba qui nous donnerait presque envie de voir en lui le ‘Anthony Gormley’ africain. Le Musée de Tervuren offre l’écrin qu’il fallait à cet artiste aussi génial et créatif qu’enthousiaste et réellement charmant. (Soit dit en passant l’artiste britannique est aussi extrêmement sympathique.)
Des œuvres certes parfois monumentales, qui défient les conditions socio-politiques, la corruption, la mort qui, avec des matériaux particuliers – douilles, machettes, etc.- font entendre un cri, un énorme cri du coeur. Des soudures réalisées sans l’aide de baguettes de soudure mais avec du fil barbelé, du câble électrique en cuivre par un métallurgiste hors norme, un homme issu de la lignée des « Grands Forgerons venus du Chalcolithique, le prestigieux Age de cuivre qui débuta en Egypte et au pays de Koush dans le Soudan actuel » écrit dans le catalogue In Koli Jean Bofane, écrivain et commissaire de l’exposition.
Totalement concerné et en empathie avec la situation souvent catastrophique du continent africain, Tsimba est un artiste engagé qui profite de son talent pour exprimer son ressenti mieux qu’avec des mots ou des images mais concrètement, avec les instruments même de sa condition. Il refuse de fermer les yeux. C’est l’une des raisons qui explique la taille de certaines de ses œuvres, démesurées, impossibles à ignorer. Il cherche à nous ouvrir les yeux, à nous les mettre sous le nez. Il ‘parle’ de la femme dans le monde, du désespoir des migrants, des révoltes réprimées avec le sang du peuple congolais excédé de son quotidien, de son exploitation. Il détourne les objets usuels comme les cuillères, les fourchettes, les clefs, les douilles ramassées devant chez lui dans la rue après une manifestation, celles avec lesquelles on a tiré dans la foule… Il réalise une sculpture d’un croyant traversé de part en part par un crucifix « pour exorciser le pouvoir dit sacré (…) ayant servi à l’évangélisation ou à l’aliénation des peuples du Congo, jadis et qui perdurent » écrit encore l’écrivain- commissaire. Ses sculptures et ses dessins, tout aussi remarquables sont sa manière radicale de questionner, remettre en question une réalité inacceptable. Quel témoignage percutant.
C’est avec des hommes comme lui au talent incontestable, à la voix forte et intelligible qu’un jour peut-être des choses changeront…
Texte & Photos Virginie de Borchgrave
Jusqu’au 15/8
AfricaMuseum
Leuvensesteenweg, 13
B- 3080 Tervuren
Tél.: +32 2 769 52 11
www.africamuseum.be