S’il y a une exposition à privilégier cet été dans le programme foisonnant de la Capitale Européenne de la Culture, je vous recommande sans hésiter celle sur l’art brut*.
Articulée en deux volets et deux commissaires qui s’éclairent et se complètent magistralement, MONSens présente dans un
premier temps « L’art brut d’hier et d’aujourd’hui », une approche historique et contemporaine du ‘sens’ qui se cache derrière les œuvres d’art marginal orchestrée par la commissaire Carine Fol. Un art, des artistes en-dehors de tout circuit dont les œuvres exposées sont issues de collections belges et européennes complétées par des ateliers de la région.
Dans un deuxième temps, « Interaction » où la commissaire Yolande De Bontridder a mis sur pied des ateliers créatifs entre artistes professionnels et résidents de plusieurs foyers du CARROSSE** qui ont travaillé pendant 2 ans à ce projet. C’est le résultat de cette fructueuse collaboration qui est exposé.
Première partie de la visite avec Carine Fol qui a fait sa thèse de doctorat à l’ULB sur l’art brut. Elle jongle avec le sujet, parle vite,
de quantité de choses passionnantes en même temps, pointe dans chaque salle l’une ou l’autre œuvre majeure. Elle suit un fil conducteur, nous pas… Difficile de la suivre ! Je cours derrière elle physiquement et intellectuellement, tentant d’attraper au vol des mots-clefs tels que foisonnement, traumatismes, cerveau (« Pourquoi tout d’un coup quelqu’un de différent, quelqu’un qui disjoncte ? »), inconscient (« A partir de quand peut-on dire que quelqu’un est malade ? »). Elle s’arrête tout d’un coup devant tel travail comme « L’Autolocomoteur », « une œuvre anonyme, réalisée par quelqu’un qui n’avait pas d’identité. Cela veut dire beaucoup… », les petites statues en bois peint de Karl Genzel (1871-1925) qui sont « exceptionnnelles et auraient tout à fait leur place dans une exposition d’art premier », la douce et colorée femme fleur d’Aloïse Corbaz ou encore le tableau « Du berceau à la mort » d’Adolf Wölfli (1864-1930), « incontournable. L’un des plus grands artistes d’art brut. »
Elle parle de Dubuffet : « Il va défendre des créateurs et changer la vision sur l’art, la lecture. Mais je ne suis pas toujours d’accord avec lui entre autres quand il dit que ces artistes étaient enfermés, cloisonnés dans leur monde. Certains étaient des grands voyageurs, très ouverts justement sur le monde. » Elle précise que si certains artistes n’ont aucun lien affectif avec ce qu’ils créent comme Henry Darger: « En déménageant, il laisse sur place ses œuvres qui représentent des milliers d’heures de travail ! », d’autres par contre y sont très attachés. On trouve de tout parmi eux : « Certains sont dans la répétition comme Martine Copenaut, d’autres fascinés par la religion comme Patrick Schummer ou par les croyances comme Michel Nedjar avec ses poupées chamaniques en tissu, pigments et racines. »
Bref un art qui s’ouvre sur des univers très différents, où l’on relève une grande diversité des créations, des hommes et des femmes qui ont envie de partager, qui vont jusqu’à parfois se mettre en scène avec des autoportraits ou qui inventent une écriture phonétique comme August Walla. « Ils ne vivent pas seulement dans leur monde intérieur. Pour moi, précise-t-elle, l’art brut est un pôle, conditionné par une culture, dont on ne peut pas sortir totalement indemne. Impossible de ne subir aucune influence d’aucune sorte. On vit dans une époque, un contexte auquel on ne peut pas être totalement imperméable et qui nous influence même inconsciemment ».
Deuxième volet de l’exposition et deuxième partie de la visite avec Yolande De Bontridder où l’on découvre les installations de Tinka Pittoors, Cléa Coudsi & Eric Herbin, Yves Lecompte, Mireille Liénard, Caroline Rottier pour ne citer qu’eux, des artistes qui ont poursuivi avec les pensionnaires des différents foyers d’accueil un travail de création et de collaboration à long terme. Remarquable et originale initiative dont les résultats sont à la hauteur ! Certains plus visuels que d’autres comme les « Cabezudos » d’Emilio Lopez-Menchero inspirés du folklore espagnol ou latino américain (Mexique) complétés par le film « La Comparsa du Carrosse » où les artistes défilent dans les rues de Mons avec leurs masques sur la tête, révélant la face
cachée de celui qui la porte. Démarche intéressante entre « je me dévoile » et « je me cache », entre être et paraître. D’autres sont plus subtiles et ‘naturelles’ comme « L’Observatoire des simples et des fous » de Lise Duclaux qui a semé un champ à côté et avec les résidents du foyer de St-Symphorien pour leur donner le plaisir de le voir pousser et évoluer.
Troisième et dernière partie au sous-sol intitulée « Processus » qui présente des photos et des films réalisés par des étudiants sur l’élaboration de la partie « Interaction. »
Rencontre édifiante entre la déficience/maladie mentale et l’art, remarquable mise en valeur d’artistes ‘différents’ pour essayer de mieux les comprendre et approcher autrement les problèmes psychiques, cette exposition est extrêmement humaine et touchante.
* Le nom art brut a été créé en 1945 par Jean Dubuffet qui cherchait un nouvel art ‘vierge’ de toutes influences, c’est à dire non ‘perverti’ par l’éducation artistique traditionnelle et voulait constituer une collection d’œuvres que l’on ne trouve pas dans les circuits classiques (musées, galeries, etc.). Ces artistes en marge sont en grande majorité des pensionnaires d’institutions, d’hôpitaux psychiatriques, de prisons ou des solitaires qui utilisent des moyens et des techniques diverses où les matériaux de récupération ont souvent leur place.
** Basé à Mons, le CARROSSE accueille environ 450 personnes adultes déficientes mentales et dépendantes nécessitant un encadrement permanent.
(PHOTOS : Virginie de Borchgrave)
Le communiqué officiel
En faisant la part belle à l’art asilaire, brut, outsider, l’exposition MONSens rejoint deux projets, qui illustrent parfaitement l’évolution du regard et de l’appréciation des créations en marge des circuits de l’art. Le premier volet initié par les plateformes hennuyères de concertation pour la santé mentale, s’intéressera à l’évolution du « sens » donné aux œuvres par les découvreurs (psychiatres, artistes), les créateurs et les spectateurs. La confrontation d’œuvres historiques et contemporaines permettra de souligner l’évolution du regard porté sur ces créations.
Le second volet, Interaction, présentera le résultat d’ateliers mêlant artistes contemporains (Cléa Coudsi et Eric Herbin, Lise Duclaux, Yves Lecomte, Mireille Liénard, Emilio Lopez-Menchero, Caroline Rottier et Tinka Pittoors) et résidents handicapés mentaux du Carrosse. Des créations aussi diverses qu’un champ de fleurs sauvages, une pièce de théâtre, des têtes monumentales en papier mâché, etc. résulteront de ces rencontres. Certaines d’entre elles se donneront également à voir hors les murs de l’exposition.
A découvrir hors les murs de l’exposition :
- Dada : Dada est un spectacle de danse/théâtre inclusif créé et joué par 16 résidents du Carrosse, deux comédiennes, une danseuse et cinq musiciens de jazz. Dirirgé par Caroline Rottier, ce spectacle multidisciplinaire allie l’humour, l’audace et les idées rebelles du dadaïsme afin de rendre hommage à la différence avec humour et poésie. Pour en savoir plus : MONSens – Dada, la différence avec humour et poésie
- L’observatoire des simples et des fous Étendue d’herbes sauvages et médicinalesL’observatoire des simples et des fous, une étendue de simples et d’herbes folles, en forme d’ellipse avec en son centre un marronnier. Créé par l’artiste Lise Duclaux pour les résidents du Carrosse, ce champ se veut un lieu de rencontre, d’échange et d’observation du mouvement de la vie.
Jusqu’au 6 septembre 2015
BAM
8, Rue Neuve
B-7000 MONS
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h
Entrée : tarif plein 9 EUR / réduit 6 EUR
Visites guidées à organiser avec l’Office du Tourisme : + 32 65 35 34 88
Visites guidées avec les commissaires les 25.06 – 1.07 – 9.07 – 20.08 – 27.08 – 3, 4, 5 & 6.09 (10h30’ et 12h)
www.monsens.be
MONSens HORS LES MURS
Performances :
– Lise Duclaux, Observatoire des simples et des fous (étendue d’herbes sauvages et médicinales). Atelier à Saint Symphorien chaque weekend de 11h à 18h jusqu’au 25.10.2015
– Caroline Rottier, DADA, spectacle danse/théâtre inclusif les 4, 5, 8 septembre à 20h et le 6 septembre à 15h. Auditoire Abel Dubois
Publications :
– Catalogue « L’art brut en question / Outsider Art in question », CFC-Editions
– « Le Petit Art Brut », Kate Art Editions
– « De l’art des fous à l’art sans marges ». Un siècle de fascination à travers les regards de Hans Prinzhorn, Jean Dubuffet et Harald Szeemann, Editions Skira.