« A toi de faire, ma mignonne » Sophie Calle
A l’occasion du cinquantenaire de la disparition de l’artiste, le musée Picasso a proposé à Sophie Calle, la plasticienne, photographe, femme de lettres et réalisatrice française (1953, Paris) d’investir les 4 étages de l’Hôtel Salé. Proposition qu’elle a d’abord refusée puis acceptée, quand elle est retournée au début du confinement dans le musée fermé où les tableaux protégés par des papiers kraft ou de la toile blanche ne l’impressionnaient plus. Elle les a photographiés, masquée et s’est dit qu’elle pouvait accepter : « Picasso était moins écrasant comme cela. » Ce sont les photos que l’on voit dans les premières salles. Une fois cachés, elle avait moins peur d’être ridicule, d’être un imposteur. Comme le jour où voyant l’une de ses œuvres au MOMA à NY entre un Hopper et un Magritte, sa mère lui avait dit : « Tu les as bien eus, tout de même ! »
Sous un titre plutôt paternaliste qu’on pourrait imaginer venant de Picasso lui-même, Sophie Calle qui a commencé à faire de l’art pour plaire à son père collectionneur a réuni tout ce qu’elle a fait : sa vie, sa maison avec toujours le thème de l’absence, le manque, le vide, ce fil rouge qui sous-tend toute son œuvre. Ce qu’elle n’a pas, ce qu’elle n’a plus, ce qu’elle n’aura plus un jour quand elle ne sera plus. Tous ses objets, meubles, tableaux, bureaux, fauteuils sont là, exposés les uns sur les autres au 3e étage du musée, répertoriés par des commissaires-priseurs de Drouot mais encore une photo d’elle morte recouverte d’un voile, les cheveux lâchés, réalisée par Jean-Baptiste Mondino, à côté de sa mère filmée sur son lit de mort, au moment de son dernier souffle sur un concerto de Mozart, selon ses souhaits. Très décalé et théâtral (pourquoi pas ?)
Elle a aussi photographié toutes ses lettres de testament, celles écrites et réécrites en fonction des disputes, changements, etc. Et avec cela, le retour de l’éternelle question de savoir ce qu’il adviendra de tout cela après sa mort, elle qui n’a pas d’enfants.
La série des aveugles au 1er étage est sans doute la plus belle et la plus émouvante partie de l’exposition : la salle avec les aveugles de naissance et celle avec ceux qui ont vu un jour, photographiés avec la dernière chose qu’ils ont vue. Et encore plus touchant, une œuvre récente, des images filmées en Turquie de gens qui n’avaient jamais vu la mer, alors qu’ils habitent des villages à quelques de km de là. Sophie Calle les a amenés devant le rivage et les a filmés de dos en train de la regarder pour la 1re fois. Ils se retournaient face à la caméra, seulement quand ils avaient envie.
Enfin au dernier étage, les choses abandonnées – intentions manquées, projets avortés, échecs, ratages -, celles qui attendent dans des tiroirs, dont on ne sait que faire. Pour mettre au propre, vider, en finir, les montrer pour mieux s’en débarrasser, les éliminer définitivement, bref les choses de la vie de tout un chacun à commencer par nous, le visiteur. La différence, dit très justement Christine Angot sur France Inter, c’est que Sophie Calle avec cela, elle fait une œuvre !
L’exposition est longue, très longue, il y a beaucoup de photos, de tableaux et surtout des dizaines de textes, phrases, citations à lire étalées partout sur les murs qu’il faut prendre le temps de lire car là est l’essence de son travail. Prévoyez minimum 2 voire 3h.
Jusqu’au 7 janvier 2024
Musée national Picasso – Paris
5, Rue de Thorigny
Paris 3e
Tél. : + 33 1 85 56 00 36
Ouvert de 10h30’ à 18h du mardi au vendredi et de 9h30’ à 18h le weekend
www.museepicassoparis.fr