« TRANSHUMANCE. Beyond Cuban Horizons »
(texte & photos: V. de Borchgrave)
Il y avait longtemps que trottait dans la tête d’Eléonore de Sadeleer, directrice du CAB, l’idée d’une exposition sur Cuba vu sous un angle différent « au-delà des horizons cubains ». Il a suffi de la rencontre avec Sara Alonso Gomez, curatrice, critique d’art contemporain et agent d’artistes cubains en Europe pour concrétiser cela et lui donner l’impulsion qui manquait à son projet. La voilà partie sur ses traces, munie d’un solide carnet d’adresses à Cuba pour rencontrer Roberto Diago, Diana Fonseca, Inti Hernandez, Yornel Martinez, Reyner Leyva Novo, José Yaque et quelques autres qui nous présentent aujourd’hui leurs réflexions sur le thème de la transhumance.
A travers la métamorphose de l’habitat remis en question à notre époque, car confronté à la mobilité, ils analysent e.a. la déconstruction d’un lieu et ses conséquences avec, comme trame, leur île où certains vivent encore et d’autres plus. J’ai été séduite par la carte du monde chiffonnée en une petite boule intitulée « Trash » de Yornel Martinez qui symbolise la déconstruction absolue. Roberto Diago a réalisé, lui, des sculptures dont les matériaux sont des tôles de toits de maisons, métaphores des cicatrices et révélatrices des souffrances du peuple cubain… Diana Fonseca, quant à elle utilise dans ses peintures des morceaux des murs des maisons déglinguées de La Havane. Beaucoup de tristesse et de nostalgie d’un patrimoine qui s’autodétruit, faute de moyens et de volonté politique… Les tristes photos en noir & blanc de Alejandro Campins d’endroits abandonnés à Cuba et ailleurs ne m’ont pas convaincue. La reproduction du sol de la maison natale d’Inti Hernandez m’a interpellée mais surtout, -j’ai gardé le meilleur pour la fin car on ne voit qu’elle- la tornade de José Yaque créée à partir d’objets trouvés à Bruxelles est incroyable et très impressionnante en même temps que hautement symbolique à plusieurs niveaux. Enfin, les monochromes noirs de Reyner Leyva Novo sont de belles transpositions des lois imposées sur l’île par le Lider Maximo depuis… 55 ans ! Il est intéressant de rappeler que presque la majorité des Cubains dont l’âge moyen est de 40 ans n’ont jamais rien connu d’autre comme régime politique.
Une exposition sous forme de portrait sensible à la fois poétique, nostalgique et sincère où non seulement l’art et la vie mais aussi, Cuba et la Belgique voire l’Amérique latine et l’Europe dialoguent subtilement et sans prétention. Remarquable.
L’annonce du CAB
Le CAB a le plaisir de vous annoncer sa nouvelle exposition intitulée « Transhumance »: une réflexion autour de la métamorphose de l’habitat confronté à une mobilité inhabituelle et contemporaine.
L’idée d’un foyer fixe, comme lieu physique qui serait le reflet de notre identité, évolue. Aujourd’hui, l’habitat dépasse ses formes physiques et psychiques stables et en vient à prendre symboliquement la figure de la transhumance. Cependant, l’idée d’un habitat migrant garde quelque chose de profondément paradoxal et cette exposition s’attache à en explorer les conséquences. Cuba est le point d’intersection des onze artistes invités, certains y vivent, d’autres en sont originaires. Chacun à leur manière, ils révèlent les particularités de l’histoire de la société et de la culture cubaine.
En élargissant leurs pratiques multidisciplinaires à la recherche de la déconstruction du lieu, Yornel Martínez et Wilfredo Prieto tendent parfois à la négation totale de celui-ci. Martínez, réduit en boule une carte du monde et, par ce simple geste, défait la distribution géopolitique actuelle. Prieto provoque une fuite d’eau dans l’espace du CAB, et opère par là une réflexion sur la porosité d’un système qui peut en permanence être remis en question. Le titre de l’œuvre, Lágrimas de cocodrilo, évoque une certaine ironie par rapport au fait dénoncé.
Roberto Diago et Ana Mendieta analysent le lien entre la création artistique, le corps et l’habitat. Dans les sculptures de Diago, les soudures des tôles de toits de maisons renvoient métaphoriquement à des cicatrices. Au travers de sa série Silueta, Mendieta propose un chiasme engagé entre le paysage et son propre corps féminin, annulant ainsi les frontières entre body art et land art.
D’autres artistes, présents dans l’exposition, bouleversent l’espace de vie ou de transit en laboratoire. Ils réinterprètent la réalité, comme Carlos Garaicoa, avec ses photos aux supports et médiums différents ; ou comme Diana Fonseca, avec ses peintures composées de fragments de matières récupérées sur les murs de maisons désaffectées de la Havane, ou encore comme Alejandro Campins, qui s’inspire des paysages en mutation et abandonnés, à Cuba ou ailleurs.
« Transhumance » comprend également des œuvres créées spécialement pour l’exposition. Inti Hernandez reproduit à l’identique le sol de sa maison natale ; il invoque ainsi physiquement sa sphère intime, tout en révélant la sophistication des motifs cubains. De son côté, José Yaque investira le CAB, en s’appropriant des objets trouvé à Bruxelles, pour les assembler chaotiquement sous la forme d’une tornade.
Enfin, Diango Hernández et Reyner Leyva Novo, en se basant sur des systèmes de codification du discours politique, créent des espaces autres où le référent devient illisible. Hernández, opère une association troublante entre les répliques des fenêtres de sa résidence à Düsseldorf et un discours hyper-codifié de Fidel Castro ; Novo, quant à lui, s’attache à observer les lois qui règlent la vie cubaine depuis 1959, qu’il retranscrit sous forme d’énigmatiques monochromes noirs.
Les artistes participants à « Transhumance » se rejoignent dans leur démarche artistique hybride. En synthétisant leurs pratiques d’écriture, d’enseignement, de leadership communautaire, et de recherche multidisciplinaire, ils repoussent les limites de la production artistique classiquement cantonnée aux studios. Apparaît alors, une démarche typique et propre à Cuba ; une attitude sincère et profondément ancrée à l’intersection de l’art et de la vie.
Dans un monde confronté plus que jamais à une mobilité effrénée mais également, trop souvent encore, à l’exil forcé, Bruxelles, ville centrale du vieux continent, profondément européenne, fluide et solide, espace dont l’identité communautaire est en perpétuelle mutation, constitue le contexte idéal pour présenter ce portrait hors du commun de Cuba et de ses artistes.
« Transhumance » a été conçue par la curatrice Sara Alonso Gómez, qui interroge les différentes plateformes de dialogue dans la création artistique contemporaine entre l’Amérique latine et l’Europe, en collaboration avec Éléonore de Sadeleer, directrice du CAB.
Infos pratiques
Jusqu’au 25 juin 2016
CAB – Contemporary Art Brussels
32-34, Rue Borrens
B-1050 Bruxelles
Ouvert du mercredi au dimanche de 10h à 18h; gratuit
www.cab.be